La Liberté ou la mort : une allégorie engagée

Regnault, La liberté ou la mort, 1795, 60x49cm, huile sur toile, Kunsthalle,  Hambourg Source: http://fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/859396

Figure 1 : Regnault, La liberté ou la mort, 1795, 60x49cm, huile sur toile, Kunsthalle, Hambourg Source: http://fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/859396

Après avoir déjà rencontré le succès au Salon en 1776 en remportant le Prix de Rome avec Diogène visité par Alexandre, Jean Baptiste Regnault (1754-1829) présente au Salon de 1795 La liberté ou la mort ( figure 1), se considérant comme le rival et l’égal de David (1). Il délaisse alors ses habituels sujets antiques pour se lancer dans la peinture à sujet révolutionnaire.

Pour cette peinture, Regnault fait le choix de représenter des allégories : la composition s’organise autour de 3 personnages portant chacun des symboles révolutionnaires. Le 1er qui est au centre de l’image est le Génie de la France, ses ailes blanches sont légèrement colorées de rouge et de bleu. Au-dessus de sa tête, on observe une flamme, symbole de la purification mais aussi de l’illumination. L’ange est nu et ouvre totalement ses bras aux deux autres personnages qui l’entourent. Il est ici représenté comme un messager protecteur et annonciateur. A sa gauche, est représentée l’allégorie de la mort : c’est un squelette drapé de noir, il tient d’une main une faux symbole de la mort mais de l’autre il tient une couronne de lauriers qui représente la victoire, ces deux symboles peuvent sembler contradictoires mais nous le verrons plus tard, ici ils font tout à fait sens. A la droite du génie de la France se trouve donc l’allégorie de la liberté : La jeune femme attire toute la lumière, elle lève de la main gauche un bonnet phrygien, symbole de la révolution Française et de l’autre elle nous montre un triangle et un fil à plomb qui sont le symbole de l’égalité. De plus à la différence de l’allégorie de la mort, elle ne s’appuie pas directement sur le nuage mais un trône. (2)

Nous pouvons voir à travers les 3 personnages l’image d’une balance : le spectateur se retrouve face à un choix. Le Génie nous met face à deux alternatives : la liberté et si celle-ci n’est pas possible alors la seule solution sera la mort. De plus, les personnages sont représentés dans les cieux, renforçant ainsi l’idée que se sont des valeurs universelles.

Le spectateur a donc un choix à faire: la liberté passe par la défense de la République et de ses valeurs représentées dans le tableau, et ce quel qu’en soit le prix, cela pouvant aller jusqu’à la mort, mais comme nous l’avons vu, dans ce cas la mort serait alors un sacrifice au nom de la France. (cf. la couronne de lauriers).

Par ce tableau, Regnault s’adresse directement au peuple français, on peut observer que les regards des personnages fixent clairement le spectateur, c’est un message adressé à ses contemporains, de plus, il est à la portée de tous même les personnes ne sachant pas lire puisque son message est clair. Ce tableau illustre donc les grands principes de la Première République ainsi que les idées de son créateur, par ce biais il fait l’apologie du civisme mais aussi du sacrifice ultime au nom de la défense de la République.

La liberté ou la mort de Jean-Baptiste Regnault est donc une parfaite illustration de la mise de l’art au service des révolutionnaires avec pour but d’éduquer le peuple et de les encourager à les suivre dans leur engagement.

C.C

  1. http://www.universalis-edu.com.ezproxy.univ-paris1.fr/encyclopedie/jean-baptiste-regnault/
  2. Julie Ramos, « Introduction », in Neil McWilliam, Catherine Méneux et Julie Ramos (dir.), L’Art social de la Révolution à la Grande Guerre. Anthologie de textes sources, INHA (« Sources »), 2014.

Pourquoi l’oeuvre Le Radeau de la Méduse a-t-elle fait scandale ?

Géricault, Le Radeau de la Méduse, 1818-1819, 491x716,  huile sur toile, Musée du Louvre, Paris.  Source : http://www.wga.hu/index1.html

Figure 1 : Théodore Géricault, Le Radeau de la Méduse, 1818-1819, huile sur toile, 491×716, Paris, Musée du Louvre. Source : http://www.wga.hu/index1.html

En 1819, le peintre Théodore Géricault présente son œuvre Le Radeau de la Méduse ( figure 1) au Salon et le public est choqué. L’œuvre est extrêmement critiquée. L’artiste prend pour sujet un événement d’actualité qui n’avait pas laissé le peuple français insensible. En effet, en juin 1816, La frégate La Méduse Amirale, prend le large direction le Sénégal pour reprendre le territoire aux Anglais. À son commandement, on y retrouve le Comte de Chaumareys. Un mois après son départ, la frégate s’échoue et le capitaine abandonne son navire y laissant environ 150 membres d’équipage à bord. Pour se sauver, ils prennent place sur un radeau de 20mètres sur 7mètres qui sera remorqué par les autres embarcations de secours. Mais les amarres se rompent et la plupart des hommes meurent noyés. C’est un épisode qui fut un véritable massacre puisque les autres, saouls ou pris de folie s’entre-tuent et mangent les cadavres. Le cauchemar s’arrête lorsque le navire l’Argus arrive pour les secourir, il ne retrouve que 15 hommes mourants sur le radeau, seulement 10 pourront être réanimés (1). L’évènement prend alors une très grande ampleur et les français blâment le gouvernement d’avoir choisi le Comte de Chaumareys comme commandant puisqu’il n’avait plus navigué depuis des années. Ce dernier comparaît alors devant la justice et il est radié de l’armée puis condamné à trois ans de prison. Pour réaliser cette œuvre, Géricault entreprend un travail très minutieux. Pendant trois ans, il consulte les documentations sur le drame et interroge deux survivants, Corréard et Savigny, qui lui décrivent le déroulement exact de la scène. Il réalise une maquette en cire et va même jusqu’à étudier les cadavres dans son atelier (2) . Le réalisme des corps en torsions, affamés, inconscients et désespérés est tel que le public est frappé par l’horreur de la scène alors bien loin du beau idéal de l’époque. L’œuvre choque l’assistance et est considérée alors comme un manifeste anti néoclassicisme et prônant une esthétique pro réaliste. De plus, alors que certains y voient un message politique contre le pouvoir rappelant alors l’indignation du peuple français au moment du drame, d’autres, y décèlent aussi une allusion à la dérive du peuple français sous La Restauration. Les royalistes iront même jusqu’à s’exclamer : « Rien de touchant, rien d’honorable pour l’humanité morale ; on dirait que cet ouvrage a été fait pour réjouir la vue des vautours ! » (3) devant ce tableau, qui, plus que l’épisode de violence et de cannibalisme, représente surtout un moment d’espoir perdu. De plus, la figure de l’homme noir au sommet de la pyramide apparait comme un message de l’artiste contre l’esclavagisme.

Cependant, le tableau sera très bien accueilli en Angleterre où il sera exposé en 1820.

A.L.B.

(1) http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=136
(2) http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/le-radeau-de-la-meduse
(3) http://www.latribunedelart.com/gericault-le-radeau-de-la-meduse-et-l-ideologie-du-seul-but-d-art